Comme de coutume, nous abordons ici les anémies fonctionnelles, formes plutôt bénignes, car notre sujet ne vise pas du tout les pathologies relevant des spécialistes, en l’occurrence de l’hématologue. Un diagnostic d’anémie implique un manque d’hémoglobine et donc une carence des globules rouges qui la transportent, avec pour conséquence un apport moindre d’oxygène aux tissus. On ne s’étonnera pas des symptômes typiquement liés à l’anémie: pâleur, fatigue et essoufflement rapide lors d’efforts même d’un niveau modéré.
Fondamentalement, la synthèse de l’hémoglobine requiert trois matériaux de base: le fer (4 atomes pour chaque molécule d’hémoglobine), l’acide folique (ou vitamine B9) et la vitamine B12 (ou cobalamine). Il suffit de manquer d’un de ces trois éléments dits « antianémiques » pour freiner, voire bloquer la production d’hémoglobine par la moelle osseuse. On pense toujours au fer, mais pas aux deux vitamines B pourtant indispensables.
La vitamine B12 possède une particularité remarquable : elle n’est présente que dans les aliments d’origine animale et sera nécessairement carencée chez les végétariens, à fortiori chez les végétaliens. Toutefois, il ne suffit pas de consommer des produits riches en vitamine B12 – viandes, poissons, fruits de mer – comme c’est d’ailleurs le cas pour tous les nutriments essentiels, faut-il encore les absorber! Cela implique un bon fonctionnement du système digestif. J’ai abordé en détail la physiologie complexe de la résorption de la vitamine B12 dans un article en anglais posté sur mon site internet: www.gmouton. com: cliquez sur « Articles » puis sur la rubrique « Nutrition and Function» et vous accédez à l’article en question («Elevated Vitamin B12 Blood Levels»), intégralement référencé.
Le titre de l’article peut surprendre, mais il trahit un phénomène intéressant survenant chez les patients affectés par une prolifération bactérienne de l’intestin grêle (SIBO ou Small Intestinal Bacterial Overgrowth). Il s’agit d’un envahissement du petit intestin par des bactéries normalement confinées au gros intestin, le côlon, qui ont la particularité de produire de la vitamine B12 – toutes ces remarques restant valables pour la vitamine B9. La différence avec la situation physiologique résulte du fait que la partie terminale de l’intestin grêle constitue précisément le lieu d’absorption classique de la vitamine B12 et de la vitamine B9. On retrouve dès lors, chez la majorité des sujets souffrant d’un SIBO, des taux sanguins anormalement élevés en vitamine B12 et/ou en vitamine B9.
Chez toute personne ne faisant pas l’objet d’une supplémentation en vitamines du groupe B, l’existence d’un excès de vitamine B12 ou B9 implique automatiquement cette forme de dysbiose intestinale.
Elle constitue en fait une cause fréquente de ce que l’on appelle le syndrome du côlon irritable, même si ce n’est pas la seule explication possible, loin s’en faut. Veuillez noter que la prise à long terme d’inhibiteurs de la pompe à protons (omeprazole, lansoprazole, pantoprazole) favorise cette pathologie via la suppression de l’acide gastrique et via la remontée du pH de l’intestin grêle qui en résulte. On crée ainsi un environnement favorable aux proliférations bactériennes, parfaitement similaire à ce qui se passe dans le côlon. Gaz, ballonnements, crampes abdominales, selles molles reflètent ces troubles digestifs ; la hausse du taux sanguin de B12 en constitue la preuve biologique.
Doser la vitamine B12 apporte donc des informations exceptionnellement riches, pour autant que l’on sache si le sujet doit être considéré comme un parfait omnivore ou plutôt comme un carnivore (B12 haute) ou comme un végétarien (B12 basse). Toute distorsion par rapport à ces prévisions implique une malabsorption digestive (taux de vitamine B12 plus bas que prévu) ou une prolifération bactérienne du grêle (taux de vitamine B12 plus haut que prévu). Il n’existe, à ma connaissance, aucun autre paramètre biologique qui, par sa seule interprétation, implique une telle capacité de poser différents diagnostics cruciaux !